dimanche 6 mars 2011

VOUVOYER ou VOUSSOYER.

On emploie communément, de nos jours, le verbe "vouvoyer" pour décrire l'emploi du pronom "vous" comme signe de politesse, de respect ou de civilité quand on s'adresse à une personne. Mais on a dit longtemps "voussoyer" dans le même sens. En fait, tous les dictionnaires du XIXe siècle que j'ai consultés ne donnent que "voussoyer" ou le préfèrent à "vouvoyer". Voyons ce que dit Émile Littré dans son Dictionnaire:

VOUSSOYER. Dictionnaire de Littré, 1883, tome 4.
VOUSSOYER, suite. Dictionnaire de Littré, 1883, tome 4
On voit que Littré donne "voussoyer" et critique l'emploi de "vouvoyer": il dit que "le mot est mal formé; vous ne peut amener la syllabe voy, tandis que tutoyer est fait de tu et toi." Donc, pour le grand Émile Littré, il faut dire "voussoyer" au lieu de "vouvoyer". Il a sans doute raison, mais l'usage est plus fort que la raison. On dit aujourd'hui "vouvoyer", en tout cas au Québec. Si on dit encore "voussoyer" dans votre coin de pays, dites-le moi. 

Voici deux autres photos, du Bescherelle et du "Grand dictionnaire universel" de Pierre Larousse, qui montrent que les dictionnaires du XIXe siècle donnent "voussoyer". Je n'y trouve jamais le mot "vouvoyer".

VOUSSOYER, VOUSSOYEUR. Dictionnaire Bescherelle, 1887, tome 4.
VOUSSOYER, VOUSSOYEUR, Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle , tome 15.
J'ai cherché en vain "voussoyer" ou "vouvoyer" dans les deux éditions du Dictionnaire de l'Académie française parues au XIXe siècle ( 1835, 1878 ). Je ne les vois pas non plus dans l'édition de 1932-1935. Je ne trouve ni l'un ni l'autre dans le Dictionnaire de Laveaux (1820). Si je recule, je ne trouve pas "voussoyer" ou "vouvoyer" dans mon édition de 1701 du Dictionnaire de Furetière, ni dans mon édition de 1728 du Dictionnaire de Richelet. Mais si j'avance, je trouve les deux verbes, avec une préférence pour "vouvoyer", dans le "Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française", du grand Paul Robert, dans l'édition de 1964. Voici la photo. J'ajoute la page de titre.

Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, par Paul Robert, 1964, tome 6.

Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, par Paul Robert, 1964. Page de titre du tome 6.
Je note que Paul Robert souligne que Littré a condamné "vouvoyer". On voit donc, au fil des dictionnaires, qu'il faudrait privilégier "voussoyer", mais l'usage moderne impose "vouvoyer". Avant de vous laisser, j'aimerais partager avec vous cette belle citation de l'écrivain Saint-Évremond (1614-1703) que j'ai trouvée, au mot "vous", dans mon dictionnaire de Furetière. La voici, transcrite avec l'orthographe du temps : "Les ornemens sont des beautez étrangeres, & vous n'étes jamais si belle, que lorsqu'on ne voit en vous que vous-même."


VOUS. Dictionnaire de Furetière, édition de 1701, tome 3.
Dictionnaire de Furetière, édition de 1701. Page de titre du tome 3.
Sous le mot "vous", le Dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1771, reprend la belle citation de Saint-Evremond; on voit bien que le Trévoux descend du Dictionnaire de Furetière. Et on dit, dans le corps de la définition : "...on dit vous à tout le monde, il n'y a que les écoliers, les jeunes gens, les petits-maîtres, & les gens de la lie du peuple qui disent toi au lieu de vous." :

VOUS. Dictionnaire de Trévoux, édition de 1771, tome 8.
Le premier ministre du Québec, monsieur Jean Charest, a proposé récemment, dans son discours d'ouverture de la nouvelle session parlementaire, un retour au vouvoiement dans les institutions scolaires. Il a bien raison. Le "vous" est une marque de respect, alors que le "tu" est une marque de familiarité. Le "vous" n'est qu'un signe, mais la civilisation n'est faite que de signes finalement: on tient son verre de vin par le pied, on trinque en regardant sa dulcinée dans les yeux, et on lui dit "vous" le soir en espérant un "tu" le lendemain matin...

Au plaisir de...vous lire, cher lecteur.

lundi 28 février 2011

Prochain article: j'y travaille.

Chers lecteurs, je publierai mon prochain article dès que ce sera possible. Québec vient d'essuyer une bonne bordée de neige et aujourd'hui je dois consacrer mon énergie au déneigement...J'entame un nouveau mandat professionnel et le temps pour écrire se fait plus rare. Je ne vous oublie pas.

mardi 15 février 2011

AUTHEUR devient AUTEUR...MECHANIQUE devient MÉCANIQUE...THRESOR devient TRÉSOR... Autres exemples de la suppression du H silencieux.


Comme promis dans le précédent article, je donne ici d'autres exemples, qui seront les derniers, montrant la disparition du H silencieux au fil des éditions du Dictionnaire de l'Académie française. Je suis comme un chasseur de bartavelles qui en a montré une en trophée et qui vide ensuite sa besace sur la table pour montrer toutes les autres à ses compagnons. Je changerai de volatile dans les prochains articles. J'ajouterai peu de commentaires aux photos, qui parleront très bien seules. Voici comment l'Académie écrivait le mot "auteur" dans la première édition de son Dictionnaire :

AUTHEUR. Dictionnaire de l'Académie française, 1ere édition (1694).
Dans l'édition suivante du Dictionnaire de l'Académie, publiée en 1718, la Compagnie écrit encore AUTHEUR  mais elle reconnaît, entre parenthèses, l'orthographe AUTEUR :

AUTHEUR ( "Quelques-uns écrivent Auteur" ), Dict. de l'Académie française, deuxième édition (1718).
Finalement, dans la troisième édition de son Dictionnaire, parue en 1740, l'Académie laisse tomber définitivement le H silencieux et choisit d'écrire AUTEUR, comme on le fait encore aujourd'hui:

AUTEUR, Dictionnaire de l'Académie française, troisième édition (1740 ).
Poursuivons ce petit tour photographique. Voici, à la suite, le mot MECHANIQUE dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694) et avec une nouvelle orthographe, MÉCANIQUE, qui apparaîtra dans la quatrième édition du Dictionnaire, en 1762. La photo du dictionnaire de 1762 est moins nette parce que la  feuille est plus mince et qu'on devine l'impression du verso.

MECHANIQUE. Dictionnaire de l'Académie française, première édition (1694).
MÉCANIQUE. Dictionnaire de l'Académie française, quatrième édition (1762)

Je termine avec l'évolution du mot THRESOR. Dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694) on écrit THRESOR; dans la seconde (1718) on écrit encore THRESOR mais on note que certains l'écrivent sans H; dans la troisième (1740) on écrit maintenant TRÉSOR mais en notant que certains écrivent THRÉSOR; et finalement dans la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie on écrit TRÉSOR sans laisser un autre choix. Voici les quatre photos:

THRESOR, Dictionnaire de l'Académie française (1694).

THRESOR, ("...quelques-uns l'escrivent sans H.) Dictionnaire de l'Académie française, deuxième édition (1718).

TRÉSOR ("Quelques uns écrivent Thrésor...") Dictionnaire de l'Académie française, troisième édition (1740)
TRÉSOR, Dictionnaire de l'Académie française, quatrième édition (1762)
On voit donc que l'orthographe change au fil des siècles, et qu'il est parfois utile d'avoir sous la main plusieurs éditions du Dictionnaire de l'Académie française pour le démontrer, et pour permettre au lecteur de saisir par son oeil cette transformation. Mon prochain article lâchera "l'orthographie" ("Ancien synonyme d'orthographe, qu'il conviendrait de reprendre" , écrit Littré dans son Dictionnaire, tome troisième, Paris, 1883).
Vos commentaires sont toujours appréciés. Vous pouvez choisir le profil "anonyme" si vous n'êtes pas inscrit. Ajouté le 16 février: J'invite à lire ici les commentaires intéressants qu'ont envoyés plusieurs lecteurs. Ces commentaires enrichissent si bien cet article qu'il faudra peut-être que je transforme les commentaires en article et que je rabatte l'article en commentaire!

mercredi 9 février 2011

Prochain article: mercredi.

J'avais l'intention de publier mon prochain article demain (mardi) mais ce sera plutôt mercredi. Je termine aujourd'hui un mandat professionnel passionnant, mais exigeant. Je m'offre donc une journée de repos demain.

mercredi 2 février 2011

THRONE devient TRÔNE... Suppression du H silencieux, au regret de Victor Hugo.

THRONE. Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition (1694).
TRÔNE. Dictionnaire de l'Académie française, 4e édition (1762) .
Nous avons vu dans un article précédent où je présentais la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1762) que la Compagnie annonce dans la préface de cette édition, comme dans celle de 1740, qu'elle a décidé de supprimer dans les mots les "lettres B, D, H, S, qui étoient inutiles." ( Lire : "...qui étaient..."). J'avais  montré dans cet article, par exemple, que ESTRE devient ÊTRE.
Nous verrons aujourd'hui disparaître la lettre H silencieuse en adoptant comme seul exemple (*) le mot qu'on écrivait THRONE anciennement et qui s'écrit aujourd'hui TRÔNE. C'est ce qu'on voit dans les photos qui ouvrent cet article. L'Académie française écrit THRONE dans la première édition de son Dictionnaire, parue en 1694, et elle écrit TRÔNE dans la quatrième édition de son Dictionnaire, parue en 1762. Mais ces changements se font doucement. L'Académie écrit donc THRONE en 1694, fait de même dans la seconde édition de 1718, mais elle commence à changer l'orthographe du mot dans la troisième édition du Dictionnaire, celle de 1740: on voit dans la photo ici bas que l'Académie écrit TRÔNE en 1740, mais en soulignant en tête de définition que "Quelques-uns écrivent Thrône" :

TRÔNE ("Quelques-uns écrivent Thrône".) Dict. de l'Académie française, 3e édition  (1740)
Dans l'édition suivante, de 1762, on ne s'embarrasse plus de dire que "quelques-uns écrivent Thrône", et on écrit TRÔNE, tout simplement, comme le font les dictionnaires d'aujourd'hui. C'est ce qu'on voit dans la seconde photo de cet article, que je ne répète pas ici. L'immortel Victor Hugo a regretté ce changement. Il souligne avec justesse que l'orthographe des mots leur donne une figure à laquelle on s'habitue et qu'on regrette si on la change. Voyez cet extrait, au centre de la photo, que je tire des "Oeuvres complètes" de Victor Hugo, parues chez Robert Laffont, dans la Collection Bouquins, ici dans le tome "Océan", Paris, 1989 ( page 153 ) . Vous pouvez cliquer sur la photo pour l'agrandir ( cliquez sur votre "retour de page" pour revenir).

Citation de Victor Hugo ( "Oeuvres complètes", coll. "Bouquins", tome "Océan", page 153, Éditions Robert Laffont, Paris,1989 )

Victor Hugo. Tome "Océan" des "Oeuvres complètes",  collection "Bouquins" , Éditions Robert Laffont, Paris, 1989.
Victor Hugo n'y va pas de main morte et parle même de mutilation. Il souligne que "les mots ont une figure". Il écrit que "Bossuet écrit thrône, selon cette magnifique orthographe du dix-septième siècle que le dix-huitième a si sottement mutilée, écourtée, châtrée. Oter l'h du thrône, c'est en ôter le fauteuil. H majuscule, c'est le fauteuil vu de face, h minuscule c'est le fauteuil vu de profil."
Le grand écrivain touche là le coeur de l'orthographe. Car on n'écrit pas un mot pour sa seule prononciation, on l'écrit aussi pour l'oeil. Quand on modifie l'orthographe pour la simplifier, on se prive non seulement de l'origine du mot (étymologie...) mais on choque aussi  l'oeil du lecteur en modifiant l'allure du mot à laquelle il s'est habitué pendant toute sa vie. Une faute d'orthographe selon moi c'est ce qui choque l'oeil d'une personne cultivée, tout simplement. Je termine cet article en citant Bossuet, qui m'a inspiré, et qui explique mieux que moi le bon usage de l'orthographe. Cette citation est dans la préface de la septième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1878), à la page VIII :

" Il ne faut pas souffrir, dit Bossuet, une fausse règle qu'on a voulu introduire d'écrire comme on prononce, parce qu'en voulant instruire les étrangers et leur faciliter la prononciation de notre langue, on la fait méconnaître aux Français mêmes....On ne lit point lettre à lettre, mais la figure entière du mot fait son impression tout ensemble sur l'oeil et sur l'esprit, de sorte que, quand cette figure est changée considérablement tout à coup, les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnaissables à la vue, et les yeux ne sont pas contents."

Voilà pourquoi j'accepte mal, comme plusieurs autres, que certains qui n'ont même pas l'autorité de l'Académie française, tentent par tous les moyens de "moderniser" l'orthographe en la défigurant. Ces gens poussent toujours les mêmes exemples : oignon...pomme et pomiculteur...Mais l'orthographe ne sera jamais assez simple à leurs yeux: quand ils auront obtenu qu'on écrive "pommiculteur" ils voudront qu'on écrive "pom" au lieu de "pomme", et ils voudront peut-être qu'on boive du "Pommerol" ! J'y reviendrai. Vos commentaires sont toujours appréciés.

(*) Je donnerai d'autres exemples dans un autre article: "autheur" qui devient "auteur", "thresor" qui devient "trésor"...etc. 

mardi 18 janvier 2011

ESTRE devient ÊTRE... ISLE devient ÎLE... Suppression du S silencieux au milieu des mots dans le Dictionnaire de l'Académie (1740).

ESTRE ( Dictionnaire de l'Académie française . 1718 )
ÊTRE ( Dictionnaire de l'Académie française. 1740 )

Une lectrice de la belle Italie m'a demandé, en commentant mon article précédent, à quelle époque on a abandonné le S du verbe ESTRE, qu'on écrit aujourd'hui ÊTRE. La réponse courte : en 1740, en tout cas pour l'Académie française. Pour l'Académie, car Pierre Richelet a fait le changement dès 1680 dans la première édition de son Dictionnaire. On voit sur la première photo qui coiffe cet article que l'Académie écrit ESTRE dans la deuxième édition de son Dictionnaire, parue en 1718. Mais dans l'édition suivante, parue en 1740, l'Académie change l'orthographe: elle supprime le S et ajoute un accent circonflexe sur le E comme on le voit sur la deuxième photo. Cette réponse étant faite pour le mot ÊTRE cela nous conduit à une explication plus large qui touche l'évolution de l'orthographe d'une foule de mots qui contenaient un S silencieux.
Dans l'ancienne orthographe de nombreux mots avaient à l'intérieur une lettre S qu'on ne prononçait pas et qui signifiait seulement que la syllabe était longue. On écrivait épistre, estre, isle, maistre... qu'on écrit aujourd'hui épître, être, île, maître... Voici ce qu'on lit dans " Les principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise" par Restaut, neuvième édition, à Paris, 1764 :

Grammaire de Restaut , 9e édition, 1764

Grammaire de Restaut (1764), page de titre

Cette disparition de la lettre S silencieuse, qu'on trouvait à l'intérieur de plusieurs mots, a dû se préparer pendant des décennies mais c'est en 1740, dans la troisième édition de son Dictionnaire, que l'Académie française fait sienne cette nouvelle orthographe, quitte à concéder à l'occasion la présence de l'ancienne façon d'écrire. Suivons, par exemple, l'évolution du mot ÎLE dans trois éditions successives du Dictionnaire de l'Académie: on écrit ISLE en 1718, on donne ISLE ou ÎLE en 1740, puis seulement ÎLE en 1762. Voyez les trois photos:


ISLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1718 )
ISLE ou ÎLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1740 )
ÎLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1762 )
Puisque nous avons ci-haut trois photos sous la main, remarquez l'évolution de l'orthographe du mot "côté" qui valide ce que nous venons d'expliquer.
En 1718, on trouve dans la définition du mot ISLE : "...terre entourée d'eau de tous costez." Le S est là. En 1740, le S disparaît et on met un accent circonflexe sur le O : "...terre entourée d'eau de tous côtez. Puis, finalement, en 1762, la marque du pluriel "ez" devient "és": "...terre entourée d'eau de tous côtés." Je reviendrai dans un autre article sur ce changement de la marque du pluriel.
Vous aurez remarqué à la lecture de cet article que l'accent circonflexe rappelle, dans les exemples cités, la disparition du S. C'est donc une faute d'écrire ÎSLE (le vieux S plus un accent circonflexe sur le I) comme je l'ai déjà vu sur une affiche.  Attention cependant: l'accent circonflexe peut rappeler aussi la disparition d'une double voyelle : par exemple on écrivait anciennement aage tandis qu'aujourd'hui on écrit âge.
Veuillez noter que de nombreux mots qui commençaient par ES... dans la deuxième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1718) commencent par É... dans la troisième édition (1740 ). Par exemple les mots esbahir, esbauche, esclat, esclorre, escole, escrire...etc. (Dictionnaire de 1718) deviennent ébahir, ébauche, éclat, éclorre, école, écrire... (Dictionnaire de 1740). Je reviendrai sur l'évolution de l'orthographe, sans doute à l'occasion de la présentation de ces éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1718, 1740).

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