mercredi 30 mars 2011

Chers lecteurs.

Chers lecteurs, je ne vous oublie pas. Ce ne sont pas les sujets d'articles qui manquent, mais je suis pris par des obligations professionnelles qui me laissent moins de temps pour le blogue. Je publierai un nouvel article le 10 avril.

dimanche 6 mars 2011

VOUVOYER ou VOUSSOYER.

On emploie communément, de nos jours, le verbe "vouvoyer" pour décrire l'emploi du pronom "vous" comme signe de politesse, de respect ou de civilité quand on s'adresse à une personne. Mais on a dit longtemps "voussoyer" dans le même sens. En fait, tous les dictionnaires du XIXe siècle que j'ai consultés ne donnent que "voussoyer" ou le préfèrent à "vouvoyer". Voyons ce que dit Émile Littré dans son Dictionnaire:

VOUSSOYER. Dictionnaire de Littré, 1883, tome 4.
VOUSSOYER, suite. Dictionnaire de Littré, 1883, tome 4
On voit que Littré donne "voussoyer" et critique l'emploi de "vouvoyer": il dit que "le mot est mal formé; vous ne peut amener la syllabe voy, tandis que tutoyer est fait de tu et toi." Donc, pour le grand Émile Littré, il faut dire "voussoyer" au lieu de "vouvoyer". Il a sans doute raison, mais l'usage est plus fort que la raison. On dit aujourd'hui "vouvoyer", en tout cas au Québec. Si on dit encore "voussoyer" dans votre coin de pays, dites-le moi. 

Voici deux autres photos, du Bescherelle et du "Grand dictionnaire universel" de Pierre Larousse, qui montrent que les dictionnaires du XIXe siècle donnent "voussoyer". Je n'y trouve jamais le mot "vouvoyer".

VOUSSOYER, VOUSSOYEUR. Dictionnaire Bescherelle, 1887, tome 4.
VOUSSOYER, VOUSSOYEUR, Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle , tome 15.
J'ai cherché en vain "voussoyer" ou "vouvoyer" dans les deux éditions du Dictionnaire de l'Académie française parues au XIXe siècle ( 1835, 1878 ). Je ne les vois pas non plus dans l'édition de 1932-1935. Je ne trouve ni l'un ni l'autre dans le Dictionnaire de Laveaux (1820). Si je recule, je ne trouve pas "voussoyer" ou "vouvoyer" dans mon édition de 1701 du Dictionnaire de Furetière, ni dans mon édition de 1728 du Dictionnaire de Richelet. Mais si j'avance, je trouve les deux verbes, avec une préférence pour "vouvoyer", dans le "Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française", du grand Paul Robert, dans l'édition de 1964. Voici la photo. J'ajoute la page de titre.

Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, par Paul Robert, 1964, tome 6.

Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, par Paul Robert, 1964. Page de titre du tome 6.
Je note que Paul Robert souligne que Littré a condamné "vouvoyer". On voit donc, au fil des dictionnaires, qu'il faudrait privilégier "voussoyer", mais l'usage moderne impose "vouvoyer". Avant de vous laisser, j'aimerais partager avec vous cette belle citation de l'écrivain Saint-Évremond (1614-1703) que j'ai trouvée, au mot "vous", dans mon dictionnaire de Furetière. La voici, transcrite avec l'orthographe du temps : "Les ornemens sont des beautez étrangeres, & vous n'étes jamais si belle, que lorsqu'on ne voit en vous que vous-même."


VOUS. Dictionnaire de Furetière, édition de 1701, tome 3.
Dictionnaire de Furetière, édition de 1701. Page de titre du tome 3.
Sous le mot "vous", le Dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1771, reprend la belle citation de Saint-Evremond; on voit bien que le Trévoux descend du Dictionnaire de Furetière. Et on dit, dans le corps de la définition : "...on dit vous à tout le monde, il n'y a que les écoliers, les jeunes gens, les petits-maîtres, & les gens de la lie du peuple qui disent toi au lieu de vous." :

VOUS. Dictionnaire de Trévoux, édition de 1771, tome 8.
Le premier ministre du Québec, monsieur Jean Charest, a proposé récemment, dans son discours d'ouverture de la nouvelle session parlementaire, un retour au vouvoiement dans les institutions scolaires. Il a bien raison. Le "vous" est une marque de respect, alors que le "tu" est une marque de familiarité. Le "vous" n'est qu'un signe, mais la civilisation n'est faite que de signes finalement: on tient son verre de vin par le pied, on trinque en regardant sa dulcinée dans les yeux, et on lui dit "vous" le soir en espérant un "tu" le lendemain matin...

Au plaisir de...vous lire, cher lecteur.