jeudi 14 juillet 2011

CADEAU. Les sens oubliés.






CADEAUX sur une page d'une Bible du XIIIe siècle.
Le mot "cadeau", qui signifie aujourd'hui un présent qu'on offre à quelqu'un, n'avait pas ce sens autrefois. Remontons le temps, et voyons ce qu'en dit, plus bas, Jean Nicot dans son "Thrésor de la Langue Françoise", dont je présente un extrait de l'édition de 1621, ici en fac-similé. Il écrit que "cadeau"  "Est une grande lettre capitale, tirée par maistrise de l'art des Escrivains, ou maistres d'Escriture, à gros traits de plume. Et si toute l'Escriture est de tels cadeaux, on l'appelle Escriture cadelée." Cliquez sur la photo pour voir la définition en gros plan.

CADEAU. "Thrésor de la langue françoise" de Nicot, édition de 1621; fac-similé.

"Thresor de la langue françoise" de Jean Nicot (1621). Page de titre (fac-similé).
Poursuivons ce voyage dans le temps avec "L'Invantaire des deus langues" (Inventaire des deux langues) de Philibert Monet, publié en 1635. Il dit, comme Nicot, qu'un "cadeau", c'est une "lettre tirée à grands, & gros traits". Monet, comme Nicot, ne donne pas d'autre sens au mot "cadeau".

CADEAU . "Invantaire des deus langues" (1635) de Philibert Monet.

"Invantaire des deus langues" (1635) de Philibert Monet. Page de titre.
En avançant dans le temps, découvrons d'autres sens du mot "cadeau". Je fais appel au Dictionnaire de Pierre Richelet, publié la première fois en 1680, présenté ici dans son édition de 1728. Richelet ajoute au sens  de "Trait de plume figuré que les Maîtres à écrire font autour des exemples", que "cadeau" signifie une "Chose spécieuse & inutile". Il donne aussi pour "cadeau": "Grand repas. Au lieu de cadeau, dans ce sens on dit d'ordinaire fête." Je vous laisse lire les citations de Molière et de Gilles Ménage que donne Richelet dans sa définition.

CADEAU. Dictionnaire de Pierre Richelet, édition de 1728
Dictionnaire de Pierre Richelet (édition de 1728), page de titre du tome premier.
Permettez-moi maintenant de vous présenter la définition que donne du mot "cadeau" Antoine Furetière dans son dictionnaire, publié pour la première fois en 1690, présenté ici dans l'édition de 1701, revue par Basnage de Beauval. L'article est excellent, complet, et s'il fallait n'en retenir qu'un, ce serait celui-là. Furetière complète le sens de "cadeau" que donnent ses prédécesseurs: "Grand trait de plume & fort hardi que font les Maîtres Ecrivains pour orner leurs écritures, pour remplir les marges... " ; il ajoute qu'un "cadeau" c'est aussi "...des figures qu'on trace sur les cendres, ou sur le sable, quand on rêve, ou quand on badine." On lit aussi que "cadeau" "se dit figurément des choses qu'on fait mal, ou pour lesquelles on fait trop de frais." Finalement, on lit que "CADEAU se dit aussi des repas qu'on donne hors de chez soi, & particulièrement à la campagne. Les femmes coquettes ruinent leurs galans à force de leur faire faire des cadeaux. Le mari, dans les cadeaux qu'on donne à sa femme est toûjours celui à qui il en coûte le plus. Mol. En ce sens il vieillit." Dans l'exemple des coquettes qui ruinent leurs galants à force de leur faire faire des cadeaux on devine le sens moderne de "cadeau": un présent qu'on offre à quelqu'un pour lui faire plaisir, ou qu'on offre à une belle en espérant des plaisirs...

CADEAU. Dictionnaire de Furetière (édition de 1701).

Dictionnaire de Furetière (1701). Page de titre.

Terminons cette aventure en montrant, dans le "Dictionaire (sic) critique de la langue française" de l'Abbé Féraud, le sens moderne du mot "cadeau" qui apparaît. On lit, dans le corps de la définition : "Plusieurs étendent l'emploi de cadeau, et le font synon. de présent, don, etc. Il m'a fait un joli cadeau; il m'a fait cadeau ou le cadeau d'une tabatière, d'une montre, etc. Cet emploi de cadeau n'est pas du bel usage." Féraud dit que cet emploi "n'est pas du bel usage". L'usage en a décidé autrement. Et l'usage a même chassé les beaux sens que portait autrefois le mot "cadeau". 

CADEAU. Dictionnaire critique de Féraud (1787).
Dictionnaire critique de Féraud (1787). Page de titre du tome premier.
Je remercie "Calamar", un correspondant, qui m'a invité à rédiger un article sur le mot "cadeau". Je souhaite une bonne fête nationale à tous les Français.