mardi 18 janvier 2011

ESTRE devient ÊTRE... ISLE devient ÎLE... Suppression du S silencieux au milieu des mots dans le Dictionnaire de l'Académie (1740).

ESTRE ( Dictionnaire de l'Académie française . 1718 )
ÊTRE ( Dictionnaire de l'Académie française. 1740 )

Une lectrice de la belle Italie m'a demandé, en commentant mon article précédent, à quelle époque on a abandonné le S du verbe ESTRE, qu'on écrit aujourd'hui ÊTRE. La réponse courte : en 1740, en tout cas pour l'Académie française. Pour l'Académie, car Pierre Richelet a fait le changement dès 1680 dans la première édition de son Dictionnaire. On voit sur la première photo qui coiffe cet article que l'Académie écrit ESTRE dans la deuxième édition de son Dictionnaire, parue en 1718. Mais dans l'édition suivante, parue en 1740, l'Académie change l'orthographe: elle supprime le S et ajoute un accent circonflexe sur le E comme on le voit sur la deuxième photo. Cette réponse étant faite pour le mot ÊTRE cela nous conduit à une explication plus large qui touche l'évolution de l'orthographe d'une foule de mots qui contenaient un S silencieux.
Dans l'ancienne orthographe de nombreux mots avaient à l'intérieur une lettre S qu'on ne prononçait pas et qui signifiait seulement que la syllabe était longue. On écrivait épistre, estre, isle, maistre... qu'on écrit aujourd'hui épître, être, île, maître... Voici ce qu'on lit dans " Les principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise" par Restaut, neuvième édition, à Paris, 1764 :

Grammaire de Restaut , 9e édition, 1764

Grammaire de Restaut (1764), page de titre

Cette disparition de la lettre S silencieuse, qu'on trouvait à l'intérieur de plusieurs mots, a dû se préparer pendant des décennies mais c'est en 1740, dans la troisième édition de son Dictionnaire, que l'Académie française fait sienne cette nouvelle orthographe, quitte à concéder à l'occasion la présence de l'ancienne façon d'écrire. Suivons, par exemple, l'évolution du mot ÎLE dans trois éditions successives du Dictionnaire de l'Académie: on écrit ISLE en 1718, on donne ISLE ou ÎLE en 1740, puis seulement ÎLE en 1762. Voyez les trois photos:


ISLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1718 )
ISLE ou ÎLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1740 )
ÎLE ( Dictionnaire de l'Académie française, 1762 )
Puisque nous avons ci-haut trois photos sous la main, remarquez l'évolution de l'orthographe du mot "côté" qui valide ce que nous venons d'expliquer.
En 1718, on trouve dans la définition du mot ISLE : "...terre entourée d'eau de tous costez." Le S est là. En 1740, le S disparaît et on met un accent circonflexe sur le O : "...terre entourée d'eau de tous côtez. Puis, finalement, en 1762, la marque du pluriel "ez" devient "és": "...terre entourée d'eau de tous côtés." Je reviendrai dans un autre article sur ce changement de la marque du pluriel.
Vous aurez remarqué à la lecture de cet article que l'accent circonflexe rappelle, dans les exemples cités, la disparition du S. C'est donc une faute d'écrire ÎSLE (le vieux S plus un accent circonflexe sur le I) comme je l'ai déjà vu sur une affiche.  Attention cependant: l'accent circonflexe peut rappeler aussi la disparition d'une double voyelle : par exemple on écrivait anciennement aage tandis qu'aujourd'hui on écrit âge.
Veuillez noter que de nombreux mots qui commençaient par ES... dans la deuxième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1718) commencent par É... dans la troisième édition (1740 ). Par exemple les mots esbahir, esbauche, esclat, esclorre, escole, escrire...etc. (Dictionnaire de 1718) deviennent ébahir, ébauche, éclat, éclorre, école, écrire... (Dictionnaire de 1740). Je reviendrai sur l'évolution de l'orthographe, sans doute à l'occasion de la présentation de ces éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1718, 1740).

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