mercredi 2 février 2011

THRONE devient TRÔNE... Suppression du H silencieux, au regret de Victor Hugo.

THRONE. Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition (1694).
TRÔNE. Dictionnaire de l'Académie française, 4e édition (1762) .
Nous avons vu dans un article précédent où je présentais la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1762) que la Compagnie annonce dans la préface de cette édition, comme dans celle de 1740, qu'elle a décidé de supprimer dans les mots les "lettres B, D, H, S, qui étoient inutiles." ( Lire : "...qui étaient..."). J'avais  montré dans cet article, par exemple, que ESTRE devient ÊTRE.
Nous verrons aujourd'hui disparaître la lettre H silencieuse en adoptant comme seul exemple (*) le mot qu'on écrivait THRONE anciennement et qui s'écrit aujourd'hui TRÔNE. C'est ce qu'on voit dans les photos qui ouvrent cet article. L'Académie française écrit THRONE dans la première édition de son Dictionnaire, parue en 1694, et elle écrit TRÔNE dans la quatrième édition de son Dictionnaire, parue en 1762. Mais ces changements se font doucement. L'Académie écrit donc THRONE en 1694, fait de même dans la seconde édition de 1718, mais elle commence à changer l'orthographe du mot dans la troisième édition du Dictionnaire, celle de 1740: on voit dans la photo ici bas que l'Académie écrit TRÔNE en 1740, mais en soulignant en tête de définition que "Quelques-uns écrivent Thrône" :

TRÔNE ("Quelques-uns écrivent Thrône".) Dict. de l'Académie française, 3e édition  (1740)
Dans l'édition suivante, de 1762, on ne s'embarrasse plus de dire que "quelques-uns écrivent Thrône", et on écrit TRÔNE, tout simplement, comme le font les dictionnaires d'aujourd'hui. C'est ce qu'on voit dans la seconde photo de cet article, que je ne répète pas ici. L'immortel Victor Hugo a regretté ce changement. Il souligne avec justesse que l'orthographe des mots leur donne une figure à laquelle on s'habitue et qu'on regrette si on la change. Voyez cet extrait, au centre de la photo, que je tire des "Oeuvres complètes" de Victor Hugo, parues chez Robert Laffont, dans la Collection Bouquins, ici dans le tome "Océan", Paris, 1989 ( page 153 ) . Vous pouvez cliquer sur la photo pour l'agrandir ( cliquez sur votre "retour de page" pour revenir).

Citation de Victor Hugo ( "Oeuvres complètes", coll. "Bouquins", tome "Océan", page 153, Éditions Robert Laffont, Paris,1989 )

Victor Hugo. Tome "Océan" des "Oeuvres complètes",  collection "Bouquins" , Éditions Robert Laffont, Paris, 1989.
Victor Hugo n'y va pas de main morte et parle même de mutilation. Il souligne que "les mots ont une figure". Il écrit que "Bossuet écrit thrône, selon cette magnifique orthographe du dix-septième siècle que le dix-huitième a si sottement mutilée, écourtée, châtrée. Oter l'h du thrône, c'est en ôter le fauteuil. H majuscule, c'est le fauteuil vu de face, h minuscule c'est le fauteuil vu de profil."
Le grand écrivain touche là le coeur de l'orthographe. Car on n'écrit pas un mot pour sa seule prononciation, on l'écrit aussi pour l'oeil. Quand on modifie l'orthographe pour la simplifier, on se prive non seulement de l'origine du mot (étymologie...) mais on choque aussi  l'oeil du lecteur en modifiant l'allure du mot à laquelle il s'est habitué pendant toute sa vie. Une faute d'orthographe selon moi c'est ce qui choque l'oeil d'une personne cultivée, tout simplement. Je termine cet article en citant Bossuet, qui m'a inspiré, et qui explique mieux que moi le bon usage de l'orthographe. Cette citation est dans la préface de la septième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1878), à la page VIII :

" Il ne faut pas souffrir, dit Bossuet, une fausse règle qu'on a voulu introduire d'écrire comme on prononce, parce qu'en voulant instruire les étrangers et leur faciliter la prononciation de notre langue, on la fait méconnaître aux Français mêmes....On ne lit point lettre à lettre, mais la figure entière du mot fait son impression tout ensemble sur l'oeil et sur l'esprit, de sorte que, quand cette figure est changée considérablement tout à coup, les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnaissables à la vue, et les yeux ne sont pas contents."

Voilà pourquoi j'accepte mal, comme plusieurs autres, que certains qui n'ont même pas l'autorité de l'Académie française, tentent par tous les moyens de "moderniser" l'orthographe en la défigurant. Ces gens poussent toujours les mêmes exemples : oignon...pomme et pomiculteur...Mais l'orthographe ne sera jamais assez simple à leurs yeux: quand ils auront obtenu qu'on écrive "pommiculteur" ils voudront qu'on écrive "pom" au lieu de "pomme", et ils voudront peut-être qu'on boive du "Pommerol" ! J'y reviendrai. Vos commentaires sont toujours appréciés.

(*) Je donnerai d'autres exemples dans un autre article: "autheur" qui devient "auteur", "thresor" qui devient "trésor"...etc.