jeudi 20 mai 2010

Dictionnaire de l'Académie française. Sixième édition ( 1835 ).



 "...cette édition reste, avec celle de 1762 et celle de 1932, l'une des plus travaillées et l'une des meilleures."
Ferdinand Brunot, " Histoire de la langue française des origines à nos jours ", Paris, Armand Colin, 1948, tome XII .



Cher lecteur, après un long silence que m'ont imposé des travaux de rénovation à la maison (*), je vous présente aujourd'hui  une autre édition du Dictionnaire de l'Académie française, celle de 1835, la sixième publiée par l'Académie. Des articles précédents, que vous trouverez dans des pages plus anciennes du blogue, ont présenté la septième édition ( 1878 ) et la huitième édition ( 1932-1935 ) (**) . Cette édition de 1835 est composée de deux volumes de format in-quarto. Nombre de pages, excluant les pages "accessoires" : 911 pour le tome premier, 961 pour le tome second. Il y a trois colonnes à la page pour les définitions.



Cette sixième édition, la première des deux seules publiées par l'Académie au XIXè siècle ( 1835, 1878 ), "...reste, avec celle de 1762 et celle de 1932, l'une des plus travaillées et l'une des meilleures." nous dit Ferdinant Brunot dans sa monumentale "Histoire de la langue française des origines à nos jours", Paris, 1948, Librairie Armand Colin, Tome XII, page 564. Il écrit aussi dans les pages qui précèdent que "les rédacteurs de l'édition de 1835 ont attaché, avec raison beaucoup d'importance à la définition des mots." et que le classement des exemples "est plus clair, plus net, et plus logique." Mais après de si beaux compliments, Brunot ajoute, sévèrement : "Aujourd'hui ce Dictionnaire de l'Académie nous paraît bâtard. Il n'est pas un dictionnaire historique, -- et il conserve des sens désuets et des vocables défunts;--il n'est pas un dictionnaire de l'usage, car il rejette, pour des raisons diverses, abat et embêter;--il n'est pas un dictionnaire du bon usage, car il admet des mots et des expressions qu'il qualifie de vulgaires, de populaires et de triviales."  Dieu merci Brunot vient de dire que l'édition est " l'une des meilleures " , je n'ose pas imaginer ce qu'aurait été son jugement pour une mauvaise édition ! Il me fait penser à certains qui disent qu'une femme est belle et qui allongent ensuite une liste de défauts, réels ou imaginés. Au surplus on critique trop souvent les dictionnaires pour les mots qui n'y sont pas ou pour les mots qui y sont ; il faut arrêter de couper les cheveux en quatre et regarder plutôt l'ensemble de la chevelure. 
Ce qui est remarquable dans cette édition du Dictionnaire de l'Académie, c'est la qualité de sa longue préface, écrite par Abel-François Villemain ( 1790-1870 ) , qui a été secrétaire perpétuel de l'Académie. Villemain est un personnage considérable de l'époque dans le domaine de la langue française; le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse, lui consacre une demi-douzaine de colonnes. On lit en début d'article que Villemain a été "célèbre écrivain et professeur, ancien ministre de l'instruction publique"  et qu'il était, tout jeune, un prodige dans le domaine des langues. Je n'entre pas dans les détails de sa longue et fructueuse carrière. La préface de Villemain, toujours saluée par les commentateurs du Dictionnaire que j'ai lus, couvre vingt-cinq pages. On y sent à chaque phrase que celui qui écrit a beaucoup lu et longuement réfléchi sur les origines et la grandeur de la langue française ainsi que sur les difficultés qu'on rencontre dans la préparation d'un dictionnaire. Je ne vous conseille pas de lire cette préface en conduisant votre voiture: c'est une lecture parfois exigeante qui n'a pas toujours la lumineuse clarté d'un Victor Hugo: on a parfois l'impression qu'il faut déjà connaître ce que nous explique Villemain. Cela dit, c'est une lecture obligée si on veut mieux saisir la grandeur de la langue française et les difficultés de rédaction d'un dictionnaire. Pour illustrer, je vous laisse ici un extrait où Villemain explique la difficulté de définir certains mots . Il dit : " Il y a beaucoup de mots qu'on ne saurait définir, parce qu'on ne peut les interpréter par une idée plus claire que celle qu'ils portent avec eux." J'ai déjà lu, ailleurs, qu'il est plus facile de définir le mot "télescope" que le mot "voir". Je retrouverai la source ( probablement une autre préface du Dictionnaire de l'Académie ).  Pour grossir le texte, cliquez sur la photo; pour revenir, cliquez sur votre "retour de page" ( pas sur le X ) .
                                     
Cette sixième édition du Dictionnaire de l'Académie n'est pas rare; on ne la trouve pas sur les bancs de parc mais on peut se la procurer  sur internet à prix raisonnable . Si on m'obligeait, pour le XIXe siècle, à choisir entre les deux éditions publiées par l'Académie ( 1835 et 1878 ), je choisirais celle de 1878 : elle est plus belle et on y trouve toutes les anciennes préfaces du Dictionnaire, dont celle de Villemain qui enrichit l'édition de 1835.   
Je veux terminer cet article en laissant la parole à Villemain justement. Cette citation, pages IX et X de la Préface du Dictionnaire de 1835, je la destine à tous ceux qui malmènent la langue française en exagérant les emprunts, souvent à l'anglais, pour se donner de grands airs cosmopolites:

"Car une langue, c'est la forme apparente et visible de l'esprit d'un peuple; et lorsque trop d'idées étrangères à ce peuple entrent à la fois dans cette forme, elles la brisent et la décomposent; et, à la place d'une physionomie nationale et caractérisée, vous avez quelque chose d'indécis et de cosmopolite".  

(*) : Divers travaux : rénovation de l'héliport, ajout d'un troisième garage pour la Bugatti Veyron...Les écuries et les fontaines attendront. 
      
(**) : Édition de 1932-1935; voyez l"article du 25 janvier.
         Édition de 1878: voyez l'article du 8 mars.

9 commentaires:

Pierre a dit…

J'ai sous les yeux deux éditions un peu différentes de cette sixième édition.

La première est conforme à la votre avec ses rousseurs caractéristiques de la maison Didot ( je suis de mauvaise foi, c'est l'époque qui le voulait) et avec la mention publiée en 1835 en page de tête. Il s'agit d'un demi-chagrin tabac avec percaline à la façon, plutôt court de marge.

La deuxième édition est plus grande de marge, recouverte d'une basane façon veau avec pièce de titre etc... Les tranches sont marbrées. Ce qui la rend différente, outre le papier indemne de rousseurs (meilleure qualité), c'est que la mention d'année n'est pas reproduite alors que tous les gravures de page de titre sont conservées.

C'est bien sur cette version que je préfère. Pierre

Pierre Bouillon a dit…

Vous piquez ma curiosité Pierre.
Donnez-moi quelques précisions sur sur le nombre de pages.
Je vois sur ABEBooks, en vente, un dico de l'Académie, daté de 1835,à Paris, chez Paul Dupont, 774 et 784pages. Trois colonnes à la page.
C'est probablement ce dictionnaire que vous avez en main. Mais ce n'est pas la véritable sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, mais plutôt une autre mouture de la cinquièeme édition.La précieuse "Monographie du Dictionnaire de l'Académie française" de Courtat ( Paris, Henri Delaroque, libraire, 1880 )indique, pages 55 et 56 , que c'est une édition , à but strictement commercial, qui maquille la cinquième édition de 1811 de Bossange et Masson, libraires,elle-même (Bossange et Masson) "édition stéréotype de l'imprimerie des frères Mame", reproduisant exactement la cinquième édition de Smits. Cette édition (Boss.et Masson), ajoute Courtat, est "stéréotypée" et "fut vendue avec des titres changés suivant les années où se faisaient les tirages jusqu'en 1834; mais, en 1835, la maison Dupont supprima les mots 'cinquième édition, le discours préliminaire, le rappel de la loi du premier jour complémentaire, le rappel de l'an III, et la table alphabétique des abréviations'. En se rappelant que la sixième édition parut en 1835,on comprend le but commercial de ces changements ", dit Courtat.
Donc : c'est une édition maquillée d'une édition stéréotypée de la cinquième édition. Une curiosité, mais qui n'est pas la véritable sixième édition de Didot, souvent tavelée de rousseurs.
Amicalement
Pierre B.

Pierre Bouillon a dit…

...Pardonnez les quelques coquilles: une espace manque avant 784; à la onzième ligne : "cinquièeme" au lieu de "cinquième" ).
PB

Pierre a dit…

Je vous enverrai des photos demain, Pierre, car je suis rentré à la maison (décalage oblige). Il s'agit d'une sixième édition, j'en suis sûr, car la mention est indiquée en page de titre. Par contre, merci pour ces précisions sur cette contrefaçon de la 5eme édition que je serais peut-être amené à rencontrer, un jour. Pierre

Anonyme a dit…

Bonjour Pierre,

Un grand plaisir de vous lire.

Vous aimez les beaux ouvrages en une belle langue française que vous défendez bien avec l'humour qu'il faut pour que la vie reste légère.

Il en faudrait plus des gens comme vous.

La gravure représentant l'Académie est belle et touchante, on voit que l'aménagement du terrain à l'avant n'est pas celui d'aujourd'hui.

Vous m'avez bien fait rire avec '' : Divers travaux : rénovation de l'héliport, ajout d'un troisième garage pour la Bugatti Veyron...Les écuries et les fontaines attendront.''

J'ose à peine rêver d'une '' Porsche Panamera '' alors moi aussi je vais attendre pour une Bugatti Veyron ( quel beau monstre ). Je vivrais volontiers à Versailles, pour y mettre mon atelier et quelques domestiques......mais sans touristes...quand même...ce serait chez moi.

Belle journée et merci encore.

Michel Zimmermann
Artisan

Pierre Bouillon a dit…

Bonjour Michel,
Vous m'avez écrit là un bien beau mot.
Je suis content que vous ayez relevé mes pointes d'humour occasionnelles. Je pense qu'on peut découvrir ensemble la langue française en souriant. Certaines gens, qui ne lisent probablement jamais, s'imaginent que ceux qui aiment la lecture ou les livres rares sont de vieux gâteux qui vivent dans des salles obscures et poussiéreuses avec des chats teigneux à leurs pieds. S'ils savaient...Je m'arrête ici parce que ce blogue est ouvert à tous. :)
Mais revenons à la Bugatti Veyron.
Je vous invite à aller sur YouTube et à inscrire dans leur fenêtre de recherche : " bugatti veyron top speed ". Durée : 9'44". Une vidéo qui donne des frissons.
Au plaisir de vous lire.
Pierre

Anonyme a dit…

Cher Pierre,

merci de vos lueurs fort bienvenues sur les subtilités des éditions du "Dictionnaire de l'Académie", dans sa version officielle, ni contrefaite, ni stéréotypée.
Je me permets de vous signaler détenir, comme Michel, un exemplaire parfaitement conforme de l'édition FIRMIN-DIDOT de 1835 en deux volumes qui ne comprend pas de date en page de titre non plus. Il ne s'agit pas d'une contrefaçon, l'exemplaire provient de la bibliothèque du château de Villepreux, dont la famille possédait "le Journal des débats". Une fort riche bibliothèque.
De plus, et j'aimerais bien là le bénéfice de vos connaissances peu communes, cet exemplaire est enrichi d'un 3ème volume de "supplément" à la date de 1862.(FIRMIN-DIDOT toujours).
Le tout est relié en demi-maroquin havane vers 1862, uniformément, et en excellente condition.
Sauriez-vous noues éclairer sur le caractère "original" ou non de ce supplément à la date de 1862, et que pensez-vous finalement de cette version Firmin-Didot non datée mais autrement conforme en ses caractéristiques et mentions ?
Merci beaucoup

Anonyme a dit…

Pardon, comme Pierre, pas comme Michel

Pierre Bouillon a dit…

Je ne connais pas ce "supplément" à l'édition de 1835. Votre description étant un peu courte, il s'agit peut-être de " L'errata du dictionnaire de l'Académie française ", ou remarques critiques, par B. Pautex, professeur de langue française. Deuxième édition, 1862. La première, une plaquette publiée en 1856. Ici, un volume in-8, 388 pages, dont 36 pages de titre et accessoires, 352 pages de texte. On dit que c'est "la plus forte critique que l'on ait faite du Dictionnaire de l'Académie, en ne tombant jamais dans des railleries inconvenantes". Source: "Monographie du Dictionnaire de l'Académie française", par Courtat (1880), Paris, chez Henri Delaroque, libraire.